"Biocarburants", le remède pire que le mal
"Tant que nous resterons la meilleure conquête de la voiture, il n'y a guère d'espoir de changement". C.M. Vadrot ("L'horreur écologique")
Si la crise financière a eu et aura sur l'économie mondiale les graves conséquences que l'on peut aisément deviner, elle a paradoxalement fait chuter provisoirement le prix des matières premières et du pétrole (passé de près de 150 $ à 50 $ le baril en quelques semaines), denrées pourtant de plus en plus rares et précieuses; en effet, selon l'ASPO (Association for the Study of Peak Oil) qui étudie depuis dix ans le "pic pétrolier" (pour simplifier: c'est le moment où la production d'un site d'exploitation atteint son point culminant pour retomber inexorablement), le pic de production est déjà dépassé depuis longtemps dans de nombreuses régions du globe. Et, pour compenser la pénurie à venir, les experts de tous bords se sont rués sur les "biocarburants", la solution miracle et écologique pour continuer à faire rouler nos sacro-saintes bagnoles, symboles du progrès et de la civilisation. L'exemple le plus édifiant est peut-être le Brésil où le Président Lula a développé sans compter un programme d'exploitation de la canne à sucre: "En prêchant le recours à une énergie renouvelable et vivante, il concilie protection planétaire et développement", disait de lui Laurent Joffrin dans Libé en 2 007 (curieux journaliste d'investigation, tout de même!). Tout baigne donc... En France, la question des biocarburants a été purement et simplement évacuée du Grenelle de l'Environnement voulu par Sarkozy pour anéantir le mouvement écolo.
Il existe deux filières principales concernant les "agrocarburants" (appelons-les plutôt ainsi car ils n'ont vraiment rien de bio comme on a voulu vous le faire croire...):
- l' éthanol tiré des céréales (blé, maïs ...) ou de plantes sucrières (betterave, canne à sucre ...) est ajouté au carburant sans plomb des voitures à moteur essence
- le diester tiré des huiles végétales (palmier à huile, soja, colza, tournesol ...) alimente les voitures à moteur diesel, trois fois plus nombreuses en France que les voitures à essence, suite au forcing effréné des groupes de pression des constructeurs lorsque le gaz oil était meilleur marché que l'essence.
Alors, ces nouveaux "carburants verts" seraient la panacée? Que nenni!...A un résultat économique douteux(1), s'ajoute un bilan énergétique(2) plus que médiocre; quant aux impacts écologique(3) et humain(4) ils sont plutôt catastrophiques.
1- Le coût des agrocarburants est très élevé en particulier en Union Européenne où le soutien à la production (objectif de 20% d'agrocarburants incorporés dans les carburants en 2 020) coûterait aux contribuables plus de 22 milliards d'euros/an, selon l'association "Les Amis de la Terre" qui a lancé auprès de ses adhérents la campagne "Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde" (www.agrocarb.fr)
2- Leur efficacité énergétique laisse à désirer: par exemple, elle est de 1,3 pour l'éthanol; ce qui signifie que l'énergie contenue dans un litre dépasse à peine celle qui a été nécessaire à sa production, sans compter les 1 700 litres d'eau utilisés pour cet unique litre!
3- Le bilan écologique est très négatif: les agrocarburants, au lieu de limiter les émissions de gaz à effet de serre, accentuent au contraire le réchauffement climatique à cause en particulier de la déforestation qu'ils entraînent dans les pays où ils sont produits (Indonésie, forêt amazonienne, Cameroun, Congo ...). "La Bagnole, notre belle bagnole rutilante, va achever ce qui reste de forêts tropicales" nous dit Fabrice Nicolino dans son livre*. Le bilan est si désatreux que même la très libérale OCDE affirme:" Peu de biocarburants semblent offrir un apport réel en termes de sauvegarde du climat ou de l'indépendance énergétique". En outre, la monoculture intensive de ces agrocarburants nécessite l'adjonction massive d'engrais, de pesticides et autres produits chimiques (servant, par exemple, à l'extraction de l'huile) qui contaminent sols, cours d'eau et nappe phréatique.
4- Mais ce qui est le plus catastrophique, c'est l'impact humain des agrocarburants (aussi, mieux vaudrait parler, comme Nicolino*, de "nécrocarburants") car leur mise en place touche des centaines de millions d'habitants des pays pauvres du Sud qui subsistent grâce à une agriculture familiale et vivrière. L'extension de la culture du palmier à huile, par exemple, en Indonésie, au Brésil ..., a spolié les populations autochtones de leur lopin de terre, les contraignant à l'abandonner, souvent sous la menace, ou à travailler sur les plantations dans des conditions déplorables où les droits sociaux sont quasi inexistants, sous la surveillance de groupes paramilitaires dont on peut deviner les exactions. La multiplication des surfaces plantées en agrocarburants entraîne aussi en toute logique une diminution des terres destinées aux cultures vivrières permettant aux indigènes de survivre et augmentent considérablement le prix des produits de base, provoquant ici et là des émeutes de la faim (comme au Mexique, dernièrement, avec la crise de la "tortilla" de maïs). Rapporteur à l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler s'exprimait ainsi, il y a peu:" C'est un crime contre l'Humanité d'utiliser des terres pour produire des agrocarburants... Pour faire un plein de 50 l avec du bioethanol, il faut brûler 232 kg de maïs. Avec ça, un enfant zambien ou mexicain vit une année." Sans commentaire!
Alors, bilan totalement négatif des agrocarburants? Pas tout à fait pourtant! Cultivés, transformés et consommés localement, en optimisant les coûts de production, ils rendraient bien des services énergétiques: mécanisation agricole ou domestique, électrification ... Naguère, n'était-il pas nécessaire de prélever une part de la surface de la ferme pour produire la nourriture nécessaire au cheval, le moteur des travaux agricoles d'alors? Il y a peut-être un avenir pour les agrocarburants, mais pas à n'importe quel prix.
*Pour en savoir plus sur les "nécrocarburants", nous vous engageons vivement à lire le livre de Fabrice Nicolino "La Faim, la Bagnole, le Blé et Nous. Une dénonciation des biocarburants" chez Fayard.