Auteure d'un livre et d'un reportage diffusé sur ARTE...
Laure Noualhat : je travaille sur les sujets environnementaux depuis 2003, date de la création de la page Terre à Libé. Depuis, impossible de faire autre chose. Ayant l'étrange sensation d'être à bord d'un bolide polluant, face à un mur, je tente d'alléger chaque jour mon «empreinte écologique»... Arriverons-nous à freiner à temps?
Dans ce livre, préfacé par Hubert Reeves, l'auteure nous invite à un voyage initiatique dans l'enfer du nucléaire à travers le monde. Accompagnée dans son périple par les scientifiques de la Criirad (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la RADioactivité) et le cinéaste Eric Guéret, Laure Noualhat nous conduit pas à pas dans les sites contaminés pour des centaines, voire des milliers de générations. « En partant à la quête de la « vérité sur les déchets», le film -diffusé sur Arte le 13 octobre 2009- a l'ambition de donner pour la première fois les clefs pour comprendre les choix qui pèsent lourd sur l'avenir de l'humanité » (commentaire tiré de la jaquette du DVD);
Comme il se doit, le voyage débute aux USA, précurseurs en la matière, à Hansford (Etat de Washington), l'un des principaux sites du projet « Manhattan » dont le but, durant la seconde guerre mondiale, était de doter les Etats-Unis de la bombe atomique (dont le premier exemplaire au plutonium, « Fat man » fabriqué à Hansford a anéanti de triste mémoire la ville de Nagasaki le 9 août 1 945). -En effet, avant toute chose, il faut garder à l'esprit que, de tout temps, nucléaires civil et militaire ont été et sont encore intimement liés: c'est dans les réacteurs que l'on produit le plutonium nécessaire à la réalisation de la bombe atomique- C'est donc à Hansford qu'a débuté le périple, au bord du fleuve Columbia: 9 réacteurs, 5 usines de retraitement, plus de 50 000 emplois, 60% des déchets rédioactifs des USA, 50 milliards de dollars estimés pour la décontamination du site... Bruno Chareyron, le technicien de la Criirad présent sur le site a pu prélever des échantillons des sols et eaux de la rivière dont l'analyse, au laboratoire de la Criirad, à Valence (Drôme), a révélé une énorme contamination (tritium, uranium, europium...)
L'équipe s'est ensuite rendue en Russie, à Mayak (Oural), l'équivalent soviétique de Hansford; c'est le site de fabrication d'armes nucléaires (la première bombe atomique russe a explosé en 1 949); situé au bord de la rivière Tetcha, le site, complètement pollué par les rejets radioactifs, est toujours occupé par ses habitants qui se nourrissent du poisson de la rivière ou des aliments cultivés sur les sols contaminés. On apprend aussi que Mayak est le lieu de la première catastrophe nucléaire, bien avant Tchernobyl, en 1957, l'explosion d'une cuve de déchets radioactifs a contaminé durablement des milliers de km² et fait de nombreuses victimes (on ne l'a appris qu'en 1976, par le dissident russe Medvedev). Les prélèvements effectués par Christian Courbon, le technicien de la Criirad, ont révélé la présence d'éléments radioactifs: césium 137, strontium 90 ... et même du plutonium!
L'enquête de Laure Noualhat se poursuit en France, le pays le plus nucléarisé du monde, où le sujet est maintenu dans la plus totale opacité par les tenants du nucléaire. La journaliste se rend donc à La Hague où a été implantée en 1965 l'usine de retraitement des combustibles usés des centrales -ce qui fait dire à Areva, le géant mondial du nucléaire, dans une pub bien enrobée de vert, que la plus grande partie des résidus toxiques des réacteurs est « recyclée »!- Le but du retraitement est d'extraire le plutonium, réutilisé dans les réacteurs sous forme de MOX. Les rejets d'effluents gazeux et liquides, peu réglementés par l'ASN, entraînent, selon les mesures de la Criirad, de multiples contaminations à grande distance, dans l'atmosphère ou en mer (on en a retrouvé des traces jusque dans l'océan Arctique). Seuls le Japon et la Grande Bretagne ont choisi, avec la France, la voie du retraitement (usines de Sellafield en Angleterre et Dounreay, en Ecosse, qui est en cours de démantèlement et pose de sérieux problèmes à cause du sodium liquide utilisé dans le circuit primaire pour le refroidissement des réacteurs à neutrons rapides, type Phenix).
Après un bref passage aux Pays-Bas, au siège de Greenpeace où un spécialiste du nucléaire de l'ONG évoque l'immersion des fûts radioactifs en mer jusqu'en 1993, date de son interdiction, retour en France pour une enquête sur le « recyclage » des déchets radioactifs selon Areva.
Après un entreposage de 5 ans en moyenne dans les piscines de l'usine de La Hague, les 1400t de combustibles usés des 58 réacteurs français seront retraités: 1% de plutonium servira à fabriquer le MOX réutilisé dans les centrales, 4% de déchets ultimes eux-aussi très radioactifs seront vitrifiés et stockés sur place en attendant une solution définitive, probablement l'enfouissement (cf plus bas), et ... 95% d'uranium de retraitement (URT), inutilisable en l'état (il contient 99% d'U238 non fissile), et entreposé à Pierrelatte. Cet URT est en grande partie envoyé en Russie pour être, théoriquement, enrichi en U235 fissile; il parcourt ainsi près de 8000 km, via Le Havre et St Petersbourg, par train et bateau, avant d'être entreposé dans des containers à ciel ouvert sur le site du complexe nucléaire secret de Seversk, près de Tomsk, en Sibérie; 90% de cet URT resteront stockés à Tomsk et le reste sera enrichi en U235 et reviendra en France pour être réutilisé dans les centrales: en conclusion, contrairement à ce qu'affirme Areva dans ses plaquettes ou spots de communication, seuls 10% des combustibles usés sont recyclés.
Le périple de Laure Noualhat et Eric Gueret se termine à Bure où est creusé un laboratoire expérimental afin d'étudier le stockage des déchets hautement radioactifs à vie longue, les plus dangereux donc, dans des couches géologiques profondes (en l'occurrence, l'argile): cette solution sera probablement retenue par les décideurs politique.
En France, pour tout ce qui concerne le nucléaire, les politiques, souvent peu au fait de ces questions, s'en remettent totalement aux « experts », les technocrates de l'école des Mines qui phagocytent les ministères concernés (industrie, recherche, environnement ...) et même Matignon et l'Elysée -on se souvient de l'ignorance totale des 2 candidats S. Royal et N. Sarkozy sur le sujet de l'électricité nucléaire, déplorable!- « Le problème du nucléaire, c'est qu'il hypothèque l'avenir »(H Reeves) de milliers de générations qui auront à gérer les conséquences de notre politique énergétique depuis 40 ans. Laure Noualhat, accusée, lors du débat qui a suivi le film sur Arte, d'avoir fait un film de militant, a rétorqué que, oui, elle militait ... pour la démocratie: nous pensons que sa réponse vaut toutes les conclusions!
condensé du livre de Laure Noualhat et du film documentaire d'Eric Gueret et Laure Noualhat « DECHETS le cauchemar du nucléaire »